LES GAMMES A RENAUD


Renaud Dillies développe à travers ses productions un univers qui lui est propre. Ses personnages sont des animaux humanisés, le plus souvent vêtus et pourvus de mains, se tenant droit, bien que parfois certains, comme le petit oiseau bleu de Bulles et nacelles, apparaissent en animaux tels quels. Dans une interview il nous explique le choix d'animaux anthropomorphes ainsi: 
" Avant Betty Blues, je n'avais jamais vraiment réalisé une bd animalière. C'est arrivé comme ça, un jour en me disant "Ça peut être drôle..." Et puis en fait je me suis amusé comme un p'tit fou... Ce qui me plaît le plus, c'est le coté "Jean de la Fontaine". Bon moi je ne suis pas franchement un critique et ne suis pas sous le joug de la censure, mais la représentation animalière permet des écarts amusants... On est d'office toujours dans la métaphore."
Ou encore:
" Parce quel'on peut donner des expressions quasiment infinies ! En mettant en scène des animaux, le lecteur sait que l'on est dans l'onirique. On rentre directement dans un climat de connivence. La flexibilité des caractéristiques graphiques de ces personnages permet de mieux explorer les sentiments des personnages, tout en allant dans la fantaisie."
http://www.actuabd.com/Renaud-Dillies-La-musique-a-modifie-ma-maniere-de-penser-une-image

Bulles et nacellle ou les Aventures de Charlie la Souris Ou les Vicissitudes du Muride Solitaire
Dargaud/ Long Courrier; 2009, 78 pl, Couleurs: Christophe Bouchard.


Album rempli de poésies (oui, le s est voulu), tant dans le graphisme que dans les propos. Un jeune écrivain, timide, angoissé, et en panne d'inspiration, fier de sa solitude, subit plusieurs épreuves jusqu'à se délivrer, et finalement écrire. Tout ceci sur fond de carnaval et de musique. Ici l'animal-héros, un souriceau, symbolise parfaitement cet être fragile et réservé, qui préfère avancé caché (il fuit la famille et la foule, porte un masque tout à fait anonyme pendant le carnaval), qui porte un regard perplexe sur l'immensité qui l'environne. Également l'esprit de la solitude est représenté par un petit oiseau bleu, libre comme l'air, et qui peut disparaître à tout moment. On remarque de même que l'ouvrier qui grimpe sur des échelles pour atteindre ce qui est haut est une girafe.  Des animaux en symbiose avec leur rôles...

La gente animale est assez variée toutefois, des animaux domestiques côtoient des sauvages, le renard danse avec la taupe, de façon à signifier le cosmopolitisme de la ville.
Ici donc les animaux sont vêtus, se tiennent debout et utilisent leurs mains comme des humains (même un serpent, lors du repas chez les parents).
Dillies nous offre un délicieux ouvrage, aux couleurs somptueuses, bien que le scénario reste quelque peu convenu.
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Sumato
Ed Paquet, collection Blandice, nov. 2004.

 
Dans cette 2ème production de Dillies, le héros, un chat musicien, tombe éperdument amoureux de la chanteuse Sally. Sous prétexte d'un festival où ils doivent se produire avec son pote harmoniciste Herbie, Sumato va tout faire pour retrouver sa dulcinée. Mais le voyage se révèle autrement, et les ennuis se multiplient. Néanmoins Sumato retrouve Sally qui a lâché son compagnon Sonnie, et Herbie s'envole vers le grand blanc...


En un graphisme plus dépouillé, Dillies nous conte une triste histoire d'amour et d'amitié, des thèmes chers à son œuvre. Les personnages sont d'allure stylisée, mis à part la chatte chanteuse Sally dont les formes généreuses et la chevelure la rapproche d'une véritable femme. On ne distingue pas ses oreilles, et elle est même dépourvue de queue, alors que les autres en possèdent une. Sinon Sumato est un petit chat blanc, on le sent vulnérable, Herbie un gros lapin qui dégage de l 'assurance, et Sonnie un loup colérique et jaloux, l'élément mauvais de l'histoire. Niveau graphique, on est parfois proche des animaux de Tronheim.

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ABELARD
Renaud Dillies ; sc: Régis Hautière, Couleurs: Christophe Bouchard
2 tomes Dargaud sortis en 2011 (Intégrale en 2013).

 
Petit être fragile et ingénu, Abélard est un jeune oiseau vagabond qui s'accroche aux basques de l'ours Gaston. Le frêle oiseau qui pose tant de questions, n'a qu'une idée en tête: partir pour l'Amérique où parait-il on peut voler. Il pourrait ainsi cueillir des étoiles pour les offrir à la belle Epilie, dont il est tombé amoureux.
 
Gaston lui est du genre ours mal léché, bougon, costaud, résigné. Un ours quoi. Ici les animaux sont représentatifs de ce qu'on s'imagine d'eux. Abélard se fait chourave son peu d'argent par un filou sur le port, un rat. Auparavant deux malfrats racistes l'agressent, un rat et un porc. Il se fait tabassé par une brute, un taureau. Le prédicateur, oiseau de mauvaise augure, un rapace, voire un charognard, un vautour. Le tsigane lanceur de couteaux, qui aurait connu la belle Epilie, un renard.
Le casting est sans surprise, en quelque sorte.
  
Le dessin de Dillies a évolué, encore, il abandonne son classique gaufrier pour un découpage plus adapté. Des gros plans expressifs aux plans larges qui laissent parler le silence, entrecoupés de vignettes en noir et blanc surmontées d'un de ces petits papiers qu'Abélard sort de son chapeau, Dillies soigne l'ambiance et les émotions des personnages, qui font de cette histoire un conte sans concession, où le petit souffre, et le fort survit. Une bien triste histoire, tellement réelle.

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