Animal's Strip (1)

LE STRIP DES ANIMAUX - LES PIONNIERS

Apparu à la fin du XIXème siècle, le comic strip est une conception de la BD purement américaine, liée à la presse. Il est né dans les journaux et s'est développé en même temps. Il en résulta de grands noms de la BD mondiale, et s'est essaimé à travers toute la planète. Parmi cette pléthore de productions, le strip animalier occupe une place minime, mais de choix. Qui ne connait pas Krazy Kat, Pogo, Garfield, sans parler de Mickey Mouse, Felix the cat ou Bugs Bunny...
La couverture du livre "Comic strips une histoire illustrée" de Jerry Ronbinson, édité en France par Urban Books en mars 2015 (dont j'ai tiré nombre d'informations), est éloquente. Outre le Yellow Kid, y figurent Ignatz et Krazy Kat, Snoopy et Earl et Mooch, et en dos Hobbes et son copain Calvin.

Derrière ces illustres célébrités se cachent d'autres noms moins connus mais tout aussi attachants ou drôles. Car le comic strip, comme son nom l'indique, se veut tout d'abord humoristique. Les premières productions le sont essentiellement, et ce n'est que dans les années 30 que le réalisme et l'aventure apparaitront. Nous allons donc ici essayer de passer en revue ces strips où figurent des animaux, anthropomorphiques ou non. Une partie de ces strips, dont les plus connus bien sur, a été repris en France, mais il en reste une partie complètement ignorée de ce coté-ci de l'Atlantique.


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TIGE, BUSTER ET THE YELOW KID

Un des premiers animaux à occuper un rôle prépondérant est le chien de Buster Brown, Tige. Ce boxer *, très expressif, est doté de parole et s'exprime par des bulles, une innovation pour l'époque.

Richard Outcault, le créateur de la série, s'est inspiré de son propre chien pour l'imaginer. Le strip, lancé en 1902, paraît dans les pages du NEW YORK HERALD. En fait les deux personnages sont apparus quelques années avant dans la planche titrée "Buster Brown’s bath" du Yellow Kid, en 1897. A la recherche d'une nouvelle idée, Outcault se remémorera donc Buster et son chien pour créer son strip.

Parmi les protagonistes Tige représente le moralisateur. Buster, jeune garçon de la bourgeoisie, passe son temps à faire de bêtises, malgré les conseils ou les avertissements de son bulldog *. A défaut d'être écouté, Tige commente l'action, dans ces gags réalisés en une planche. La conclusion est souvent la même, Buster se fait réprimander par sa mère, et parfois on remarque Tige mort de rire. Le succès est tel que Tige devient le nom à la mode pour les chiens. Le toutou a même droit à son livre en 1905, "Tige his story", où il raconte son histoire, sa rencontre avec le bambin et leurs facéties.
C'est la maison Hachette qui traduit la bande en France, dans son périodique MON JOURNAL et en albums dès 1902.

Planche VO  (https://scans-daily.dreamwidth.org/2681369.html)

* on attribue diverses races à Tige. Boxer, pitt bull terrier, bull-dog... Perso, je penche pour le premier.


A noter que déjà Outcault se plaisait à intégrer des animaux dans ses admirables planches du "Yellow Kid". Outre les chats et chiens, familiers de la Hogan's Alley, on peut apercevoir chèvres, perroquets ou bien entendu chevaux ou ânes attelés. Et souvent, loin de paraître en simples figurants, ces protagonistes sont acteurs de la scène. La première intégration de phylactères dans les images se fait lors d'un échange entre un garçon et un perroquet.
Rappelons que Richard Outcault retranscrit dans ses mises en cases la réalité des quartiers pauvres tels qu'ils se présentaient, et donc ne pouvaient ignorer nos amis à quatre pattes. Par contre, il est rare de rencontrer des rats ou autres nuisibles. Pourtant il ne devaient en manquer dans ces lieux.


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LITTLE BEARS & TIGERS, NOAH'S ARK ET JIMMY

Parmi les inventeurs du comic strip on doit citer James  Swinnerton. Il est un des premiers à lancer une série avec des personnages récurrents. Ainsi "The Little Bears" apparaît dès 1892 dans THE SAN FRANCISCO EXAMINER, un quotidien appartenant à Randolph Hearst.
Jeune embauché au journal, on demande à Jimmy Swinnerton d'illustrer des articles par un ours, suite à la découverte d'un grizzly dans une forêt californienne. Très vite son ours devient un grassouillet ourson qui s'exprime sur le ton de l'humour. Une série se met en place, intitulée "Little Bears".


Constatant le talent de son artiste, Hearst l'envoie à New York pour intégrer THE NEW YORK JOURNAL, histoire de concurrencer le WORLD (où sévit The Yellow Kid) de l'autre magnat de la presse Pulitzer. Swinnerton adapte ses ours au ton local, et les transforme en tigres, référence au tigre de Tasmanie, mascotte du parti démocrate. Le strip devient "Little Tigers" (1899).
Il convient de considérer ces bandes de Swinnerton comme les premières ayant exclusivement pour protagonistes des animaux anthropomorphes.


Pour THE EXAMINER Jimmy Swinnerton a produit une autre bande où la faune occupe le premier plan, "Noah's Ark". Noé, à la longue barde blanche et affublé d'une marinière, a fort à faire avec ses animaux de passagers. Plus tard à New York l'auteur étend l'idée et imagine le monde qui se met en place sur le Mont Ararat après le déluge . On retrouve alors des animaux anthropomorphes, aux mœurs identiques à celles de la société américaine de ce début de siècle. Le nom générique du strip devient "Mount Ararat".


Encore plus tard en 1918/19 il reprend le thème de l'arche, mais là Noé se transforme en capitaine de croisière, pourtant vêtu d'une antique tenue, alors que les animaux reprennent un aspect plus naturel. La bande prend le titre "In the good old days".


Swinnerton, qui possède un talent naturel pour dessiner des animaux, s'amuse un temps à mettre en avant un protagoniste du Mont Ararat, Mr lynx, un félin qui poursuit de son insistance la demoiselle Tiger, indifférente à ses avances.



De même la série des petits tigres évolue, et émerge le personnage de Mr Jack, un playboy (playtiger ?) qui donnera le nom à un topper * associé à la bande à succès de Swinnerton, "Little Jimmy", un strip qui paraîtra pendant 54 années. D'ailleurs dans cette série Swinnerton intègre plusieurs animaux, dont le bull-dog Beans.
* strip de haut-de-page, souvent complémentaire de la bande qu'il surmonte


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Les comics ayant le vent en poupe, les deux rivaux Pulitzer et Hearst leur procurent une place d'honneur dans leurs journaux, et les rassemblent en des suppléments couleurs. Les lecteurs se gavent alors de ces images où l'humour est ravageur et les styles graphiques divergents.

BUGVILLE


Parmi cette production grandissante on remarque un autre strip animalier. Créés par Gus Dirks, les protagonistes de "Bugville" sont de minuscules bestioles (bug en anglais), des insectes. Gustavus est le frère cadet de Rudolph Dirks, le créateur des fameux "Captain and the Kids", qu'on rebaptisa piteusement Pim, Pam, Poum en France.

Avant de se tirer une balle dans la tête en 1902 (1903 selon Lambiek), Gus Dirks élabora un univers graphique personnel, champêtre et jovial, mettant en cases le monde des plus petits. Après avoir observé et réalisé l'organisation et l'intelligence des insectes, il les utilise dans ses cartoons ou strips pour proposer une satire de la société humaine. Les bestioles représentées par Gus Dirks sont certes anthropomorphes, mais fidèles à leurs aspects naturels.
Outre les bugs, il intègre d'autres animaux dans les scènes qu'il dessine, grenouilles, lapins, oiseaux, taupes, lézards etc. Ses insectes évoluent dans un environnement humain, ou logent dans des habitations à leurs mesures. Ils sont parfois vêtus, portent chaussures aux pieds et chapeaux sur le crane; se tiennent debout et discourent sans façon.



Les bugs de Dirks paraissent dans des revues telles que JUDGE, LIFE ou PUCK à la toute fin du XIXème siècle. A partir de 1898 il publie une série de cartoons intitulée "Bugville Life", sur des textes de R. K. Munkittrick, un collaborateur de JUDGE. Vers 1901 William Randolph Hearst lui donne l'opportunité d'en réaliser des strips, ce qui donne "The latest news from Bugville".
La série connaît le succès, mais lassé d'être considéré comme le simple dessinateur de ces bestioles, sans que le public ne perçoive la satire et l’œuvre de l'artiste, Gus Dirks met fin à sa courte existence, il n'a que 23 ans.



 D'autres dessinateurs lui succèdent par la suite. Paul Bransom (illustrateur et peintre animalier) produit des cartoons "Bugville" jusqu'en 1912 pour THE EVENING JOURNAL, Morton Thayer réalise un "Bugville Doings" pour THE SEATLE STAR en 1906.
Plus tard ce sont des "Bugville Closeups !" signés Leon Searl
(1881-1919, auteur de "Mrs Timekiller" en 1907 puis animateur de dessin animé, notamment sur les fameux Krazy Kat de 1916) que l'on retrouve dans THE CHICAGO EXAMINER.
On cite aussi le nom de Percy Crosby (le créateur du garçon Skippy en 1923). Mais aucun ne rivalisent avec la poésie et la fantaisie que Gus Dirks déploie dans ses images. Les petits êtres de Bugville retournent alors dans leur minuscule univers, sous nos pieds.

A signaler : un designer allemand, Tim Heckhorst, publie en 2012 une biographie consacrée à Gus Dirks, sous-titrée "Käfer, kunst & kummer" (bugs, art & regrets). Dans la foulée, il lance un comic-book hommage, réalisé avec des auteurs allemands, belges et hollandais, qui sort en Allemagne chez Pure Fruit (n° 11, "Gus Dirks Remixed). Pas traduit chez nous, on attend l'éditeur.
-> http://john-adcock.blogspot.fr/2016/05/bugs-art-sorrow.html




Auparavant, le dessinateur Rick Geary livre en 2004 sa version en hommage au créateur de Bugville.

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MAUD

Une femelle équidé connut son heure de gloire en ce début de siècle, la mule Maud. Propriété du fermier Si Slocum et de sa femme Mirandy, Maud leur en a fait voir des vertes et des pas mures. Fidèle à la caractéristique dont on affuble cet animal, la bougresse n'en fait qu'à sa tête, et se fait une joie d'envoyer valdinguer quiconque par une ruade appuyée sur le derrière du quidam. Et c'est souvent Si qui bénéficie de cet envol forcé.


Le strip intitulé "And her name was Maud", composé pour les journaux de Hearst à partir de 1904, est l’œuvre de Frederick Burr Opper, auteur de deux autres séries remarquables, "Happy Hooligan" (1900) et "Alphonse and Gaston" (1901). Maud fera d'ailleurs quelques apparitions dans ces deux strips.
Bien que se présentant en son aspect commun, affublée de son harnais et de ses œillères, Maud ajoute à sa panoplie des attitudes d'acrobate ou de clown. Parfois hilare, elle se gausse du bon tour qu'elle joue à ses victimes. Elle peut tout aussi bien partir en diverses pirouettes et sauts, se tenir sur ses pattes arrières, danser, piétiner sa victime, porter des lunettes etc. F. B. Opper se complait à exagérer les postures pour accentuer la finalité du gag.


Rien ne résiste à son coup de pattes, ni lion ni tigre, pas même des automobiles ou un train. Un jour Maud met en déroute une unité de l'armée, canon compris. Si le sait, et parfois utilise sa mule ravageuse pour assouvir quelques vengeances. Cela n'empêche la mauvaise de lui en envoyer un pour finir.


Le strip est diffusé dans les années 1910, puis après une absence revient en 1926, pour cesser six ans plus tard. HEE HAW !

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to be continued


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