Le Maître MACHEROT (I)

CHLOROPHYLLE - Les années champêtres

" Macherot est l'égal de Walt Disney dans sa manière de camper le caractère des animaux"
Hergé, ("Hergé" de Pierre Assouline, Plon 1996)


Quand Franquin croque Macherot
On ne va pas ici reprendre la biographie de ce grand de la BD animalière, d'autres l'ont fait de manière magistrale, se reporter notamment à l'article de Edouard François publié dans PHENIX n°5 en 1967, repris sur le site BD Zoom à ce lien : http://bdzoom.com/5389/patrimoine/a-propos-de-raymond-macherot/
et dont nous extrayons ce passage : "On pourrait dire de l’œuvre de Macherot ce qu’on a dit des fables de La Fontaine : sous l’apparence d’animaux, elle peint en réalité des hommes avec une intention satirique, ce qui n’exclut pas, malgré l’affabulation et les conventions artistiques et spécifiques, la poésie et la fraîcheur ni le réalisme." D'ailleurs, un autre natif de Verviers, René Hausman, n'en dit pas moins : " Pour moi, c'est avant tout un grand humoriste, un auteur satirique extraordinaire. Et puis, quoi qu'il dessine, c'est aussi un grand poète." (L'Age D'Or n°21, octobre 1991)

La première apparition de Chlorophylle

Cet homme discret porte un regard peu élogieux sur son œuvre, qui, pourtant, outre le fait d'avoir passionné des milliers de lecteurs, marque une évolution notable de l'utilisation des animaux dans la BD, par rapport à ses illustres prédécesseurs que sont Rabier ou Calvo. Raymond Macherot s'éloigne de l'aspect gentillet des sus-nommés pour écrire des histoires réalistes, pourfendant les travers humains et les outrances de leurs sociétés. Son œuvre dénonce la guerre, le pouvoir, la cupidité, la bêtise, met en valeur le combat sans répit des petits contre les puissants, ce qui a fait dire à plusieurs que cet auteur s'inscrit dans l'anarchisme. Cela s'avère principalement dans les premiers cycles croquefredouilliens de Chlorophylle ou dans Chaminou. Qu'importe ! Ou tant mieux ! Sa galerie de personnages représente un panel exhaustif des humains, des humbles, des tyranniques, des gentils, des méchants, des braves, des peureux, des intelligents, des crétins, des dominants, des dominés, des arrivistes, des nés quelque-part, des joyeux, des grincheux, des petits, des grands... Comme l'a noté Jacques Klompkes, "Macherot est du royaume de Brassens et de la tendresse : son cynisme, c'est la pudeur de sa tendresse." (in L'Age D'Or n°21)

En 1953 après avoir livré 4 récits courts réalistes, Raymond Macherot réalise sa première bande animalière pour LE JOURNAL DE TINTIN, "Mission Chèvrefeuille". Un récit de 4 planches paru dans le n° 32 de l'édition belge. Cette histoire, une commande de son éditeur Raymond Leblanc, préfigure le lancement de la série "Chlorophylle". Les héros sont le petit peuple du val tranquille menacé par le busard Conrad. Nous avons là déjà des souris, mulots et autres muscardins, ainsi que la grenouille Marguerite et quelques oiseaux. La défense s'organise et l'on assiste à un combat aérien entre le rapace et l'escadrille des frères Choucas, digne d'un duel des Têtes Brulées. Le prédateur est repoussé et les petits animaux peuvent célébrer la victoire.


Après ce galop d'essai, la grande aventure de Chlorophylle contre les rats d'Anthracite peut commencer !

Les ennuis commencent...

Dans les deux premières aventures les animaux sont nature, bestioles à poil ou à plumes, galopent sur les quatre pattes, gîtent dans des terriers ou des nids, aucuns vêtements ne les parent. L'action se déroule dans la campagne, non loin des fermes ou des champs, mais nul humain n'intervient ou même n'apparait. Deux exceptions tout de même, dans la seconde histoire. Quand Chloro se fait réveiller par les cris du fermier qui cherche sa chaussette, puis lorsque le lérot effraie une fillette alors qu'elle remonte un seau du puits. Cela n'empêche que les protagonistes adoptent très vite des attitudes humaines. Outre la bipédie, il utilisent leurs mains sans façon.

Mutinerie chez les rats

"Chlorophylle contre les rats noirs" paraît en 1954 dans LE JOURNAL DE TINTIN belge, l'année suivante en France (n° 371 à 386). Chassés du moulin Mathieu, les rats investissent la vallée environnante. A leur tête, le machiavélique Anthracite, noir comme le charbon, l'oreille gauche fendue. La horde sauvage entend mettre le pays en coupe réglée. Dès les premiers instants un lérot leur tient tête, et ça énerve déjà Anthracite. La loutre Torpille se joint à Chlorophylle, la résistance s'organise derrière le rideau vert, avec Bitume le corbeau et le lapin Serpolet. Les deux camps rivalisent d'ardeur. Au lance-flamme/lampe à souder des assaillants ripostent les bombes/ampoules de réverbères. Mais les rats sont nombreux et leur chef prêt à tout pour écraser l'ennemi, malgré les ruses de Chloro. Il faudra finalement une rébellion au sein de l'armée noire pour que la victoire choisisse le camp des plus faibles. En plus, la capture d'Anthracite.

En 32 planches, Macherot nous livre une version accélérée de la Deuxième Guerre. A quelque chose près...

La bataille fait rage ! (planche 14)




Pas le temps de souffler pour nos petits héros ruraux, la seconde aventure, "Chlorophylle contre les conspirateurs" démarre aussi sec. Aidé de Pompon le rat d'eau, Surmulot le rat de cave et Navaja la cigogne, X-8, ancien espion condamné jadis par l'ex-chef de la Horde, délivre Anthracite de sa prison-cafetière afin de s'emparer de l'arme secrète V-X. Mais on ne la fait à Anthracite, qui se débarrasse du conspirateur et prend sa place à la tête de la bande. Armé du V-X, sa vengeance contre Chlorophylle et ses amis n'attend plus!


Mais encore une fois le rat aura fort affaire avec le lérot, plus décidé que jamais. Rebondissements en série, humour maitrisé, personnages graphiquement aboutis, ce 46 planches nous tient en haleine et nous comble. Le final se transforme en un duel de toute beauté entre Anthracite et Chloro.

La baston finale !

C'est dans cet aventure que nous découvrons le copain chanteur du lérot, un dénommé Minimum, qui loge à la ferme voisine. La souris grime Chlorophylle en hérisson pour tromper Anthracite. Les deux amis ne se sépareront plus.


Anthracite disparu, ainsi se clôt un premier cycle fait de fureur et de bruits. La vallée retrouve la paix, ses discrets habitants, ainsi que leur créateur, passent à autre chose.


L'épisode suivant, publié en France dans les n° 410 à 430 en 1956 a pour titre "Pas de salami pour Célimène". On quitte la campagne pour un quartier urbain, où Chlorophylle et Minimum sont approchés par le chien Fido afin de découvrir qui est le voleur de salami de l'épicerie...
En 39 planches Macherot livre un récit à suspense, superbement maitrisé, dont le point d'orgue est le passage où nos deux braves échappent par ruses à la chatte Célimène dans la maison. Hitchockien !

Pour le plaisir des yeux, quelques vignettes de Célimène :






On retrouvera cette ambiance dans le récit suivant, "Le bosquet hanté" (n° 431/450, 20 planches), avec un apport fantastique. Cette fois-ci, Chlorophylle et Minimum, démasquent ce qui se cachent derrière des phénomènes étranges. Macherot nous livre ici ses meilleurs bandes, tant du point de vue graphique que scénaristique. Sa retranscription de la campagne est magistrale, nous plongeant dans une sorte de nostalgie réjouissante, tant ce cadre a pratiquement disparu de nos jours.


Macherot soigne l'ambiance... (planche 4 parue dans TINTIN n°434)

Les caractères du lérot et de la souris se sont étoffés. Minimum souffre de son premier rhume, multiplie les gaffes, exprime un caractère sentimental, et suit Chlorophylle plus par amitié que par vaillance. Ce dernier cultive son caractère affirmé et se révèle aussi débrouillard que courageux, voire parfois roublard. Mais par ténacité il arrive à ses fins.


Macherot maitrise sa série, lui qui affirme ne pas avoir de plan détaillé lorsqu'il entame une aventure. "Le bosquet hanté" annonce toutefois le virage que va prendre la série par la suite. Déjà nos deux héros se déplacent dans une voiture à ressort. De même il rencontre une société animale organisée, avec un roi à sa tête. Il est temps d'appréhender l'univers de Coquefredouille.


à suivre

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